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Chirurgie bariatrique

Publié le 19 juin 2024Lecture 9 min

Les clés de l’indispensable suivi nutritionnel après chirurgie bariatrique

Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, université de Strasbourg

La chirurgie bariatrique est à ce jour l’option la plus efficace et la plus durable pour traiter l’obésité sévère (obésité compliquée IMC > 35 kg/m2 et obésité massive > à 40 kg/m2). La gastrectomie en manchon ou sleeve et le by-pass gastrique, les deux interventions les plus pratiquées en France, ont des effets spectaculaires sur la perte de poids, la morbi-mortalité (notamment métabolique) et la qualité de vie. Pour autant elles ne sont pas dénuées de risques à court et à long terme. L’incidence des complications chirurgicales, souvent précoces, a été réduite grâce à l’utilisation de l’abord endoscopique et par l’expertise des opérateurs. La problématique à moyen et long terme est dominée par les intolérances alimentaires et les carences nutritionnelles, dont la plupart pourraient être évitées par des conseils adéquats. Pourtant, le suivi nutritionnel post-opératoire et au long cours préconisé par toutes les recommandations de bonne pratique est trop souvent négligé ou difficile à mettre en œuvre chez des patients qui ont du mal à comprendre que l’intervention chirurgicale n’est que le premier acte d’un projet thérapeutique qui se poursuit obligatoirement par un accompagnement pluridisciplinaire prolongé – sinon indéfini – comportant une incontournable veille nutritionnelle, ne serait-ce que pour prévenir la reprise pondérale(1-5).

Bilan nutritionnel   Il a sa place dès la phase préopératoire, car nombre de sujets obèses qui ont une alimentation hypercalorique insuffisamment diversifiée et irrégulière ont été soumis à des restrictions alimentaires souvent répétées, responsables de carences en micronutriments. Avant et après l’intervention, l’accent doit être mis sur l’importance majeure d’un suivi post-opératoire prolongé fondé sur un accompagnement diététique et une supplémentation en micronutriments et en minéraux. En effet, la chirurgie bariatrique peut induire des carences nutritionnelles de sévérité variable pouvant être symptomatiques à plus ou moins long terme : dénutrition protéique, anémie, asthénie, ostéopénie, complications neurologiques, dépression… Les carences sont favorisées par les carences préexistantes, par le type de chirurgie (le risque est moindre en cas de restriction seule comme dans la sleeve qu’avec le by-pass gastrique qui associe malabsorption et restriction), par l’absence de suivi nutritionnel… Elles sont corrélées à l’importance et à la vitesse de la perte de poids. Un suivi nutritionnel devrait être planifié tous les 3 mois la 1re année, tous les 6 mois la 2e année, puis tous les ans (figure). Figure. Statut nutritionnel avant et après la chirurgie bariatrique, risques et solutions.   Évaluation diététique   Il est essentiel de rappeler au patient que c’est sa capacité de modifier ses habitudes hygiéno-diététiques qui contribuera pour une grande part au succès de l’intervention.   Réalimentation post-opératoire précoce Son but est d’assurer des apports alimentaires et hydriques suffisants et de les adapter aux conséquences de la restriction. À ce stade sont exclus les boissons gazeuses et les aliments riches en fibres, les légumes secs et les viandes à fibres longues de même que le pain, les céréales, la semoule, le riz et le maïs. Une alimentation à texture normale est reprise progressivement après une quinzaine de jours en veillant à réduire les portions, à fractionner les repas et à hacher certains aliments comme la viande pendant le 1er mois. Le sucre et les produits sucrés seront supprimés pour éviter la survenue d’un « dumping syndrome ».   À moyen terme Une évaluation régulière des apports nutritionnels et un recensement des effets indésirables d’ordre nutritionnel permettent d’adapter les modalités de la prise alimentaire et de vérifier que les apports protéiques sont suffisants. Les légumes et céréales riches en fibres sont réintroduits prudemment. La tolérance des produits sucrés, des aliments gras et épicés est testée au cours du 2e mois. Après le 3e mois, les restrictions peuvent être levées sous réserve de la consommation de petites quantités et d’une mastication prolongée. La prise de collations (fruits, yaourt par exemple) est recommandée. À la suite de la sleeve ou du by-pass, les apports énergétiques quotidiens spontanés sont habituellement inférieurs à 1 200 kcal/jour en raison d’une satiété précoce et d’une perception modifiée du goût des aliments ; en conséquence il faut s’assurer que les apports protéiques sont d’au moins 60 g/jour. Lorsque cet objectif n’est pas atteint, un enrichissement alimentaire, voire l’utilisation de compléments nutritifs oraux sont à proposer pour pallier le risque de dénutrition protéique, tout particulièrement après un by-pass. Les conseils portent davantage sur l’équilibre et la diversité alimentaire que sur les apports énergétiques (tableau 1).   À long terme Un suivi diététique semestriel puis annuel est préconisé au très long cours, voire indéfiniment. Son but est de vérifier les pratiques, de réitérer les conseils alimentaires et de corriger d’éventuels problèmes de tolérance. L’enquête alimentaire précise la régularité des prises alimentaires, la taille des portions, le niveau d’adhésion aux grands principes de l’alimentation équilibrée et diversifiée et l’observance de la supplémentation en vitamines et minéraux. Des conseils spécifiques sont donnés en cas d’intolérance digestive (reflux gastro-œsophagien, nausées, vomissements, diarrhée), de dumping syndrome ou d’hypoglycémie réactionnelle. La reprise pondérale, habituelle, mais modérée après quelques mois ou années, impose une analyse détaillée des pratiques alimentaires (grignotages, réapparition de troubles des conduites alimentaires, dérive de la taille des portions, non-respect de l’équilibre alimentaire, consommation de boissons caloriques…) et des habitudes de vie (sédentarité) afin de redéfinir des objectifs réalistes.   Bilan biologique   Effectué lors de chaque suivi, le bilan biologique doit être pondéré par la situation clinique pour limiter le coût et le reste à charge du patient (tous les dosages vitaminiques ne sont pas remboursés). La NFS et les dosages de la ferritine, du calcium, de la vitamine D3 et de l’albumine plasmatique en sont les éléments clés.   Supplémentation médicamenteuse   Les compléments multi-vitaminiques en minéraux et en oligoéléments sont recommandés pendant toute la période de perte de poids faisant suite à la mise en place d’une sleeve et tout au long de la vie après un by-pass. Cette supplémentation peut se fonder sur des arguments biologiques, mais gagne à être systématique et anticipatoire avant la survenue de carences symptomatiques, d’autant que nombre de patients échappent à la surveillance programmée. La prévalence des carences ou sub-carences vitaminiques rapportées dans la littérature est très variable et rend compte de la diversité des pratiques en matière de suivi et de prise en charge post-opératoire. Elle est plus fréquente après un by-pass et à distance de l’intervention (tableau 2)(6-8).   Supplémentations spécifiques   Thiamine (vitamine B1) La supplémentation est nécessaire, quel que soit le type de chirurgie en cas d’intolérance alimentaire (vomissements) ou en cas d’apparition de troubles neuropsychiatriques. L’administration de vitamine B1 par voie parentérale (500 mg × 3/jour pendant 3 jours) suivie de l’administration de 250 mg/j par voie orale pendant une semaine s’impose en cas de suspicion d’encéphalopathie de Gayet-Wernicke qui est favorisée par l’absence de prise alimentaire (vomissements) et la perfusion de sérum glucosé.   Cobalamine (vitamine B12) La prévalence élevée de la carence en vitamine B12 aussi bien après une sleeve qu’après un by-pass justifie une supplémentation systématique en vitamine B12, soit par voie orale (250 à 350 µg par jour en comprimés ou 1 000 µg par semaine en flacon), soit par voie intra-musculaire (1 000 µg tous les mois ou 3 000 µg par semestre) en cas d’observance médiocre.   Vitamine D et calcium Une supplémentation systématique est recommandée au long cours par voie orale 800 UI/jour ou 100 000 UI tous les mois sous couvert d’un dosage annuel de 25-OH vitamine D. Une supplémentation calcique (1 000 mg/j) est indiquée en cas de chirurgie malabsorptive.   Vitamine B9 ou folates Une supplémentation préventive systématique est souhaitable chez toute femme susceptible d’être enceinte 3 mois avant la conception jusqu’à la 12e semaine d’aménorrhée par l’administration de 400 à 800 µg/j.   Vitamines liposolubles Les carences en vitamine A, E et K sont secondaires à la malabsorption (by-pass, dérivations bilio-pancréatiques) et sont peu symptomatiques. Elles doivent être recherchées en cas de stéatorrhée. L’insuffisance en vitamine A peut être corrigée par l’administration per os de 50 000 UI/semaine ou de 200 000 UI/mois en l’absence de grossesse. La carence en vitamine K est plus fréquente et peut être corrigée par la prise per os de 2 à 10 mg/semaine. La carence en vitamine E, plus rare, relève d’une supplémentation de 500 UI/j.   Fer Le risque de carence martiale est élevé après une chirurgie bariatrique, tout particulièrement chez les femmes menstruées, ce qui justifie un dépistage trimestriel la 1re année, semestriel la seconde, puis annuel par un dosage de la ferritine même en l’absence d’anémie. La prévalence de l’anémie est multipliée par 2 dans les 12 mois suivant un by-pass. Une dose de 60 à 200 mg de fer suffit à corriger en quelques semaines la carence et une éventuelle anémie (mais celle-ci est parfois d’origine multifactorielle). Compte tenu des risques de surcharge en fer, il n’y a pas lieu de la poursuivre indéfiniment.   Zinc Sa carence est fréquente, mais rarement symptomatique (rares cas d’acrodermatoses). La dose de zinc recommandée pour corriger une carence est de l’ordre de 15 à 30 mg/j et doit tenir compte d’une compétition d’absorption avec le fer.   Prescription de la supplémentation en pratique   Les « polyvitamines » disponibles sont de composition variable. La plupart apportent toutes les vitamines du complexe B (à l’exception pour certaines des folates), les vitamines liposolubles (à l’exception de la vitamine K), du fer, du zinc, du sélénium et d’autres éléments traces. Toutefois, les doses sont fables et parfois non adaptées aux situations de carence et, surtout, elles ne sont pas prises en charge par l’Assurance maladie ce qui est une cause notable de non-observance. Une prescription complémentaire est recommandée selon le type de chirurgie pour une durée a priori indéfinie après by-pass et d’au moins 2 ans après une sleeve (tableau 3)(5,9).   Situations particulières   Le traitement du dumping syndrome qui se manifeste par un malaise post-prandial précoce accompagné de bouffées de chaleur, d’hypotension, de tachycardie et de nausées repose sur des mesures diététiques : éviction des aliments riches en sucre et/ou en graisses qui ont un pouvoir osmolaire élevé, rappel de l’importance du fractionnement des repas, de la mastication lente et de la non-hydratation per-prandiale. L’hypoglycémie réactionnelle est plus tardive (2 à 3 heures après le repas). Elle se manifeste par des signes d’alerte adrénergiques (tachycardie, tremblements, hypersudation). Le fractionnement des repas, le recours aux aliments à faible index glycémique et l’éviction des boissons et aliments sucrés suffisent habituellement à corriger ce syndrome qui peut s’avérer invalidant lorsqu’il est répété(5). La survenue d’une grossesse après la chirurgie bariatrique nécessite un suivi nutritionnel à intervalles rapprochés pour dépister les carences (bilan biologique), renforcer la supplémentation vitaminique et rappeler les bonnes pratiques (fractionnement des repas équilibrés, mastication prolongée, hydratation en dehors des repas) afin de prévenir au mieux les nausées et les vomissements de la grossesse. Parce que les carences en éléments traces et vitamines ont des répercussions délétères sur la croissance fœtale (fer, zinc, protéines), le développement (vitamines B9, B12, A) et la prématurité (zinc), il est souhaitable d’instituer ou de renforcer une supplémentation systématique comportant un complexe multivitaminique et de l’acide folique à la dose de 0,4 mg par jour et de corriger les déficits éventuellement identifiés (vitamine D, ferritinémie)(10).   CONCLUSION   Il existe aujourd’hui de nombreuses recommandations basées sur des avis d’experts visant à mieux encadrer le suivi et la prise en charge nutritionnelle après une chirurgie bariatrique. Celle-ci, trop souvent négligée par les patients dont un grand nombre sont perdus de vue après le geste chirurgical, est un volet incontournable de la chirurgie bariatrique. Assurée par une équipe pluridisciplinaire expérimentée, elle a pour but de conforter les bénéfices attendus d’un traitement invasif de l’obésité en limitant les échecs et la iatrogénicité. Le suivi prolongé est essentiel pour dépister précocement les complications, vérifier l’absence de carences, adapter la supplémentation et accompagner le patient dans sa démarche de modification du mode de vie. Publié par Diabétologie Pratique

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