Diabétologie
Publié le 15 mar 2022Lecture 7 min
Obésité métaboliquement saine
Joane MATTA et coll.*1, Département de nutrition, Faculté des sciences agronomiques et alimentaires, Université Saint-Esprit de Kaslik, Jounieh, Liban
L’obésité est une maladie chronique. Sa prévalence dans le monde indique un accroissement significatif depuis les 30 dernières années. Elle est définie comme étant un excès de masse grasse associé à un risque accru de maladies — notamment cardio-métaboliques — telles que le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires et certains cancers. Malgré ce risque élevé de développer des comorbidités en lien avec l’obésité, certains individus obèses ne présentent pas de complications métaboliques. Ce groupe de personnes est représenté comme ayant un phénotype d’obésité métaboliquement sain (MHO pour Metabolically Healthy Obesity versus MUHO pour Metabolically Unhealthy Obesity). La question n’est pas résolue de savoir si des sujets de phénotype MHO présentent un risque de maladies cardiovasculaires comparable à celui des sujets sains de poids normal.
Définitions de l’obésité métaboliquement sain
Le phénotype MHO a été décrit dans les années 80 à partir d’un sous-groupe de personnes obèses (de même âge et même pourcentage de masse grasse) qui ne développaient pas plus de maladies cardiovasculaires que celles de poids normal. Ces individus avec un phénotype MHO ont, en général, de meilleurs niveaux de pression artérielle, de glycémie à jeun, de sensibilité à l’insuline et de taux du cholestérol HDL.
Il n’existe pas de consensus actuel concernant la définition du MHO. La plupart des critères dans la littérature se basent sur différentes combinaisons reposant en majorité sur quatre variables : la tension artérielle, la concentration du HDL-C, la triglycéridémie et la glycémie à jeun. D’autres définitions, moins fréquentes, tiennent compte aussi de la résistance à l’insuline par le modèle HOMA (homeostasis model assessment of insulin resistance) et de la CRP(1).
Un des critères le plus régulièrement employé est celui de l’ATP III (Adult Treatment Panel III) associant IMC ³ 30 kg/m2 et aucun ou un seul des facteurs de risque suivants : triglycérides ³ 1,7 mmol/L ou prise médicamenteuse, pression artérielle systolique (PAS) ³ 130 mmHg, pression artérielle diastolique (PAD) ³ 85 mmHg ou prise médicamenteuse, glycémie à jeun ³ 5,6 mmol/L ou prise médicamenteuse, HDL-C < 1,04 mmol/L pour les hommes et < 1,29 mmol/L pour les femmes. Le tableau résume les différentes définitions du MHO. La prévalence du phénotype MHO selon les nombreuses définitions existantes dans la littérature est de 3-32 % pour les hommes et de 11-43 % pour les femmes(2). En France, des résultats de la cohorte Constances ont montré que la prévalence du phénotype MHO indique que 25,7 % et 51,8 % des hommes et des femmes obèses, respectivement, sont concernés par ce profil en utilisant les critères de l’ATP III. Il faut noter que cette définition ne prend pas en compte l’existence des traitements des différents facteurs de risque, ce qui risque de surestimer la prévalence du MHO.
L’utilisation de l’IMC pris isolément comme indicateur de santé conduit souvent à une sous-estimation de la présence de facteurs de risque cardio-métabolique associés. En effet, un pourcentage non négligeable d’hommes de poids normal dans le monde (26,6 %) ou en surpoids (49,9 %) présentaient un ou plusieurs de ces facteurs de risque, ainsi que 25,6 % de femmes en surpoids(3). Ceci suggère que l’IMC, malgré sa simplicité d’utilisation dans les études épidémiologiques, n’est pas à lui seul un indicateur suffisant pour définir le risque cardio-métabolique d’une population.
• Certains individus obèses ne présentent pas d’anomalies métaboliques et sont présentés comme ayant une obésité métaboliquement saine.
• Il n’existe pas de consensus définitif pour la définition du MHO.
• Quatre variables importantes sont fréquemment prises en considération dans la caractérisation du MHO : pression artérielle, glycémie, HDL-C et triglycérides.
• L’IMC ne permet pas de capter complètement le niveau de risque cardio-métabolique d’une population.
Mécanismes associés à l’obésité métaboliquement saine
Stockage du tissu adipeux
Les déterminants du MHO sont mal définis. Une étude récente a montré que la différence entre les individus MHO et MUHO serait en lien avec une capacité différente de stockage du tissu adipeux. Les patients MUHO présenteraient une capacité limitée à stocker le tissu adipeux dans les membres inférieurs et supérieurs, ce qui entrainerait une accumulation plus élevée au niveau du tronc (graisse viscérale versus graisse sous-cutanée). Cette accumulation de graisse viscérale chez les individus MUHO entrainerait une inflammation systémique, une accumulation de graisse intra-hépatique, une diminution du taux de l’adiponectine et d’autres anomalies cardio-métaboliques.
Alimentation et style de vie
Les déterminants comportementaux qui engendrent ce profil MHO restent mal connus et controversés. Une alimentation saine et un niveau élevé d’activité physique ont été associés dans certaines études à un profil MHO. D’autres études ont montré que les femmes MHO avaient une alimentation plus riche en fibres et en acides gras insaturés, comparativement aux femmes avec un profil d’obésité avec facteurs de risque cardiométabolique (MUHO).
Ainsi, il a été montré qu’une alimentation dite « saine », spécifique à chaque pays ou région, serait associée à un profil MHO en comparaison à un profil MUHO. Cependant, ces résultats ont été retrouvés chez les femmes uniquement. Cette différence de résultats pourrait être due à la taille de l’échantillon utilisé, à la méthodologie de collecte de données et surtout à l’absence de prise en compte globale de l’alimentation, comme cela peut se faire en utilisant des scores alimentaires. Au-delà des apports alimentaires, les données sur la différence de niveau d’activité physique chez les MHO versus MUHO sont aussi peu concluantes. Il n’a pas été démontré que les individus MHO pratiquaient plus d’activité physique que ceux à profil MUHO. Des analyses ont montré aussi que les individus MHO et MUHO avaient la même consommation de tabac ou d’alcool.
Génétique
Il existe peu de données portant sur le profil génétique du phénotype MHO. Deux polymorphismes ont été identifiés comme étant des prédicteurs du phénotype MHO tels que : KCNQ1 rs227892 et rs227897. Les individus obèses ayant ces SNP avaient 23 % moins de risque de développer des maladies cardiovasculaires et 24 % moins de risque de résistance à l’insuline. Une autre étude a démontré que les sujets porteurs de l’allèle T45T du gène de l’adiponectine avaient deux fois plus de risque de développer un profil MUHO.
Concilier obésité et bonne santé
La notion d’obésité en bonne santé reste une notion à préciser scientifiquement. En effet, des études récentes ont même remis en question l’existence du phénotype MHO(4) qui serait un profil métabolique instable qui s’estomperait au fil du temps, malgré une meilleure sensibilité à l’insuline. Le pronostic des sujets à profil MHO à long terme est mal connu. Une métaanalyse datant de 2016, portant sur 22 études prospectives (suivi moyen de 12 ans), et étudiant la différence de risque cardiovasculaire entre des sujets MHO, MUHO et de poids normal avec anomalies métaboliques versus sujets de poids normal et métaboliquement sains, a montré que les personnes obèses à profil MHO avaient plus de risque de complications métaboliques à long terme versus les sujets de poids normal mais métaboliquement sains (RR : 1,45 ; IC95% : 1,20-1,70). Cependant, le risque de développement de maladies cardiovasculaires était plus élevé chez ceux de profil MUHO (RR 2,31 ; IC95% : 1,99-2,69) et chez des individus de poids normal avec anomalies métaboliques (RR 2,07 ; IC95% : 1,62-2,65)(5). Le profil MHO n’aurait donc pas d’effet protecteur. Il n’en reste pas moins que l’obésité, au-delà des anomalies métaboliques, confère une augmentation du risque d’arthrose, d’anomalies respiratoires, de dépression et de certains cancers. Des données récentes provenant de la cohorte GAZEL ont montré que les personnes obèses de profil MHO avaient moins de risque de dépression au temps initial versus les personnes de profil MUHO. Ce risque était cependant atténué avec le temps sur une période de suivi de 26 ans(6).
Transition du phénotype MUHO au phénotype MHO
Perte de poids
La perte de poids diminue le risque de maladies cardiovasculaires, de cancer, d’apnée du sommeil et d’autres pathologies associées à l’obésité. Les études montrent que les patients MUHO ayant perdu le plus de poids auraient plus de chance de passer au phénotype MHO(7).
Style de vie
Une alimentation adéquate, réduite en sel, en acides gras saturés et charcuterie, riche en poisson, fruits, légumes et noix, diminue le risque de maladies cardiovasculaires même sans diminution du poids corporel. L’étude PREDIMED a montré que des individus à risque cardiovasculaire élevé ont diminué leur risque de développer des anomalies cardiovasculaires de 30 % après 5 ans en augmentant les apports en huile d’olive et/ou oléagineux (diète méditerranéenne) et ceci sans changement de poids corporel.
• Le profil MHO n’est pas un profil protecteur mais serait plus favorable que le profil MUHO quant au développement des complications à long terme.
• Certains comportements alimentaires seraient associés au maintien de ce profil métabolique favorable.
Conclusion
◼ Le profil MHO est un phénotype d’obésité sans anomalie cardio-métabolique.
◼ Il n’existe pas de consensus sur la définition du phénotype MHO.
◼ Le fait que ce phénotype soit stable dans le temps est partiellement remis en question.
◼ Les déterminants du profil MHO restent à élucider : part génétique, effet de la diététique, de l’activité physique, etc.
◼ Le phénotype MHO semble moins néfaste que le profil MUHO sur le risque de complications.
◼ La pertinence d’une prise en charge différentielle des sujets avec un phénotype MHO et MUHO n’est pas définie dans la littérature.
*C. RIVES LANGE2/3, C. BARSAMIAN2, S. CZERNICHOW2/3, C. CARETTE2 1Département de nutrition, Faculté des sciences agronomiques et alimentaires, Université Saint-Esprit de Kaslik, Jounieh, Liban 2Service de nutrition, Hôpital européen Georges Pompidou, CSO IdF Sud, Paris 3Université Paris Descartes, Paris
Publié dans Diabétologie Pratique
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