Obstétrique
Publié le 15 sep 2018Lecture 7 min
Non, la pilule ne fait pas grossir !
C. MAITRE, Service médical de l’INSEP, Paris
« Elle ne fait pas grossir ? », nous demande-t-on régulièrement plus d’un quart de siècle après la commercialisation des premières pilules estroprogestatives (contraception orale combinée, COC). Depuis lors, les dosages se sont allégés en éthinylestradiol (EE) et les progestatifs sont majoritairement dénués d’effet androgénique, mais la question demeure, pour nos patientes du moins. Rassurons-les quant à cette interrogation trans-générationnelle, posée même par les plus jeunes de façon souvent indirecte par le classique « c’est bien une mini pilule ? », qui laisse transparaître l’inquiétude lors de l’instauration d’une contraception ou en cas de changement de contraception. Doute et réticence (fantasme de cellulite, de changement corporel) restent en 2013 une cause d’interruption, voire d’évitement de la contraception hormonale.
Prise de poids et contraception hormonale : mythe ou réalité » est le titre de la dernière revue publiée en janvier 2011 dans Expert Review of Obstetrics & Gynecology ; c’est dire si la question reste d’actualité, avec en filigrane le nombre d’interruptions de grossesse relativement stable en France (220 000 IVG par an) et le chiffre de 10 000 grossesses chez l’adolescente, malgré le choix actuel des contraceptifs.
Déterminants de la prise de poids chez la jeune femme
La prévalence de l’obésité et du surpoids a augmenté chez la femme en France depuis 2003 (Obepi 2009), et la prise de poids est actuellement plus rapide chez les trentenaires que chez les femmes de 40-50 ans. Alors, la contraception fait-elle partie des déterminants de cette prise de poids ? Peu d’études traitent du sujet. Dans une revue reprenant 29 études observationnelles longitudinales concernant des femmes de 18 à 39 ans de niveau universitaire, c’est la 1re année universitaire qui se trouve être le principal responsable d’une prise de poids rapide, soit, en moyenne, 1,6 kg en 3 mois, et plus de 3 kg en 1 an(1). De façon plus précise, une analyse des déterminants chez 3 401 jeunes de 1re année universitaire retrouve à l’origine de cette prise de poids le changement des habitudes alimentaires avec une place plus grande de l’alimentation dite fast food, l’arrêt ou l’insuffisance de l’activité physique, un poids initial élevé avant l’entrée en faculté, enfin le stress ou des difficultés d’adaptation(2). D’autres facteurs interviennent tels que la consommation d’alcool et l’augmentation de la sédentarité (temps passé sur ordinateur) à l’origine d’un déséquilibre de la balance énergétique et d’une prise de poids chez la femme jeune. Le rôle de la contraception hormonale apparaît secondaire comparativement au mode de vie. Nous comprenons là l’importance de préciser le mode de vie (activité physique, etc.) dans une consultation pour contraception.
Contraception hormonale et prise de poids
Déjà en 2000, Gupta, dans une revue de la littérature, présentait 4 essais comparatifs, concernant des utilisatrices de COC contenant des progestatifs de 3e génération versus des non-utilisatrices, et ne retrouvait qu’une modeste prise de poids de 0,3 kg à < 2 kg(3).
Cette prise de poids correspond à l’augmentation physiologique du poids liée à la croissance, mais c’est aussi l’âge de l’adolescence où les modifications de poids et de silhouette peuvent être rapportées à la contraception hormonale par facilité, besoin de rationaliser ou de contrôler : le « sentiment » de prendre du poids avec la pilule est à l’origine de 25 à 30 % des interruptions de la contraception hormonale chez l’adolescente suivant les études. En 2009, répondant à un questionnaire sur la contraception, c’est 30 % des sportives de haut niveau qui, par crainte de prendre du poids, ne prenaient pas de contraception hormonale.
Plusieurs mécanismes ont été évoqués pour expliquer une prise de poids, même modeste : perturbation du métabolisme glucidique ou lipidique, augmentation possible de la graisse sous-cutanée, effets anabolisants, augmentation de l’appétit, stimulation du système rénine-angiotensine et augmentation de rétention hydrosodée par l’EE. Deux métaanalyses récentes apportent pourtant des réponses claires, l’une de façon directe avec, comme critère, la prise de poids induite, l’autre en renseignant sur le métabolisme glucidique et la sensibilité à l’insuline. Dans une revue Cochrane publiée en 2008, aucun lien significatif entre prise de poids et contraception n’est retrouvé dans les 3 essais retenus, essais comparatifs, randomisés, COC oral ou patch cutané versus placebo ; il en est de même quand les COC sont comparés entre eux, toute notion qui devrait faire tomber le mythe de « la pilule fait grossir »(4,5). Plus récemment encore en 2009, la Cochrane Database a exploré, dans 43 essais randomisés retenus, le taux d’insuline et la tolérance au glucose, et n’a retrouvé, chez les sujets de poids normal à l’inclusion, aucune différence significative entre le poids initial et après un suivi de 3 cycles, qu’il s’agisse de la comparaison entre COC et placebo, ou de COC différents par leur dosage en EE ou par leur progestatif ; il faut cependant noter qu’il s’agit d’études sur de petits effectifs dont le suivi est de courte durée(6).
L’exemple du sport de haut niveau
Figures 1 et 2. Poids et modification corporelle sous estroprogestatif, d’après(12).
La crainte d’une prise de poids, par gain de masse grasse ou « rétention hydrique », chez des sportives de haut niveau est à l’origine de travaux cherchant à quantifier une possible modification de la composition corporelle accompagnée d’une diminution de la performance. Or, les modifications de VO2 max (consommation maximale d’oxygène) retrouvées chez les sportives ne l’ont été que dans deux essais portant sur un petit nombre de sportives utilisant une COC triphasique.
Une étude cas-témoins, randomisée en double aveugle a comparé 14 athlètes prenant pendant 2 mois une contraception orale triphasique dosée à 35 μg d’EE avec un dosage variable de noréthindrone (dont l’androgénicité est équivalente à celle de la noréthistérone) et 14 athlètes prenant un placebo : les résultats montrent une augmentation significative (p = 0,01) de la masse grasse mesurée par la méthode des plis cutanés chez les athlètes sous contraceptif comparativement aux autres, avec une diminution de la VO2 max, mais une grande variabilité interindividuelle(7).
Une autre étude a suivi durant 4 mois 8 sportives pratiquant 6 heures d’activité physique par semaine, sous COC triphasique associant 35 μg EE et norgestimate, et comparé le poids, la masse grasse et la VO2 max, avant et après le début de la contraception(8) : la prise de poids significative n’excède pas 2 kg et s’associe à une diminution de la VO2 max pouvant atteindre 11 % avec, là encore, une grande variabilité interindividuelle. Ce travail confirme une tendance à une prise de poids limitée, < 2 kg avec les OP triphasiques, qui n’est pas retrouvée avec les COC monophasiques actuels.
Rickenlund ne constate de prise de poids (2 kg en moyenne) que chez les athlètes en aménorrhée, oligoménorrhée(9). Cela peut s’expliquer par la réintroduction d’estrogène exogène chez des sportives en hypo-estrogénie : l’EE aurait pour effet de stimuler le système rénine-angiotensine jusqu’alors privé d’estrogène, ce qui favoriserait la rétention hydrique à l’origine de la prise de poids ; en effet, les femmes en euménorrhée et le groupe composé de femmes non sportives ayant des cycles réguliers n’ont pas eu de prise de poids significative après 10 mois de contraception associant EE 30 μg et lévonorgestrel. Cette absence d’effet sur la composition corporelle et sur le poids est retrouvée chez 150 jeunes filles pratiquant la course à pied au niveau compétition, âgées de 18 à 26 ans, randomisées en deux groupes, l’un avec OP et l’autre sans contraceptif, suivies 2 ans, et ce même après ajustement sur le statut menstruel et le poids initial(10).
Cette étude confirme les données précédemment rapportées : la crainte de prise de poids sous pilule ou le « sentiment d’avoir pris du poids » a été responsable de la moitié des abandons, alors même qu’aucune différence de poids significative n’était retrouvée comparativement au groupe témoin (0,4 kg/an chez les femmes ayant arrêté la pilule du groupe COC vs 0,1 kg/an chez les témoins).
Une idée reçue partagée parfois par les professionnels
Informer, rassurer les patientes est sans aucun doute une prévention importante, à condition que le médecin ait une information correcte et soit convaincu. Or, une étude israélienne récente rapporte que, sur 114 spécialistes interrogés, 31 % croient que la pilule fait prendre du poids et 49 % pensent qu’elle augmente l’appétit(11).
Pourtant, les données ne manquent pas pour argumenter sur cette problématique.
En 2009, Berenson a analysé les modifications corporelles et la prise de poids chez 703 femmes réparties en 3 groupes équivalents : contraceptif oral désogestrel 0,15/EE 20, contraception non hormonale, injection trimestrielle d’acétate de médroxyprogestérone(12). Sur une période de 3 ans, aucune différence significative de poids ni de modification du rapport graisse viscérale/graisse périphérique n’a été observée entre les deux premiers groupes. Seul l’acétate de médroxyprogestérone entraîne une augmentation significative du poids et du rapport graisse viscérale/graisse périphérique, mais c’est une contraception peu utilisée en France. Ces données sont confirmées, que la contraception hormonale soit prise sous forme continue ou non(13).
Conclusion
Aucune preuve scientifique ne vient étayer cette conviction – partagée en partie par les professionnels de santé – que la contraception hormonale entraîne une prise de poids ; peut-être l’utilisation des tout premiers contraceptifs était-elle à l’origine de cette idée préconçue. En 2013, il est temps de rassurer nos patientes, et c’est aussi un moyen d’améliorer l’adhésion à la contraception hormonale.
Publié dans Gynécologie Pratique
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