Publié le 15 déc 2020Lecture 8 min
Viande ou végétarisme en prévention des maladies cardiovasculaires
Jean-Michel LECERF, Service de nutrition, Institut Pasteur de Lille
À la recherche d’un bouc émissaire ou d’une alimentation « miracle » pour la santé cardiovasculaire, la viande et le végétarisme sont en première ligne, la première accusée de tous les maux, le second paré de toutes les vertus. Qu’en est-il exactement ? Devons-nous conseiller à nos patients de devenir végétarien et d’abandonner la viande ? En prévention primaire ? En prévention secondaire ?
Définitions
Il est bon de rappeler quelques définitions. Le végétarisme est un mode alimentaire dans lequel les produits carnés ne sont pas consommés : c’est-à-dire que la viande (et dérivés) et le poisson sont exclus. Par contre, les produits laitiers et les œufs sont maintenus. Le végétalisme exclut par contre tous les produits animaux, y compris lait, œuf… Les vegans sont des végétaliens militants qui vont jusqu’à refuser de manger du miel et de porter de la laine et du cuir. On pourrait rajouter quelques catégories telles que les pesco-végétariens qui mangent du poisson et les semi-végétariens ou flexivégétariens qui sont en fait des végétariens intermittents. Enfin, il y a les macrobiotes qui sont omnivores au premier stade de la macrobiotique, et granivore (ne consomment que des céréales) au dernier stade(1).
Mais l’alimentation végétarienne ne tire pas toutes ses propriétés de l’absence de viande : une grande partie de ses effets est liée à la plus grande place accordée aux produits végétaux : légumes, fruits, céréales (complètes), légumes secs, oléagineux, algues, soja…
Quant à la viande, nul n’est besoin de la définir, mais elle est loin d’être homogène dans son origine, sa composition (viande rouge, « blanche »…). Les carnivores sont aussi un groupe hétérogène : ce sont d’abord des omnivores, dont les styles de consommation varient aussi selon le mode de cuisson, les quantités, les accompagnements. Tous ne sont pas des carnassiers « viandards »(2).
La viande
Viande et facteurs de risque cardiovasculaire
• Surpoids et obésité
Plusieurs études épidémiologiques se sont intéressées au poids des consommateurs de viande, comparativement au poids des consommateurs ayant d’autres profils. C’est le cas de l’étude EPIC-OXFORD qui dans une première analyse transversale a montré que les consommateurs de viande avaient un IMC plus élevé que les consommateurs de poisson, les végétariens et les végétaliens(3). Mais la différence moyenne était faible, de l’ordre de 1 à 1,5 kg/m2, selon les catégories, tant chez les hommes que chez les femmes. Dans l’analyse prospective sur 5 ans de cette étude, la prise de poids est supérieure de 120 g (!) chez les consommateurs de viande, comparativement aux végétaliens. Cela reste donc très modeste(4).
Une étude américaine sur plus de 15 000 sujets a montré que les gros consommateurs de viande avaient des apports énergétiques beaucoup plus élevés, rendant compte d’une augmentation significative du risque d’obésité (OR 1,27) et d’obésité centrale (OR 1,33) pour les quintiles de consommation les plus élevés(5). Dans une étude européenne (EPIC-PANACEA), une association positive entre gain de poids et consommation de viande rouge et de volaille était observée après ajustements multiples(6).
• Diabète de type 2
De nombreuses études épidémiologiques ont été réalisées. Elles sont en faveur d’une petite augmentation du risque de diabète de type 2, associée à la consommation de viande rouge(7-10) (RR 1,12 à 1,19) pour chaque accroissement de 100 g de viande rouge. Ceci n’est pas observé dans toutes les études, ni pour la volaille, ni dans les pays où sa consommation initiale était faible comme la Chine(11).
• Hypertension artérielle et dyslipidémie
Il existe une association entre consommation de processed-meat (« charcuterie ») et l’élévation de la pression artérielle, mais il n’y a pas de relation entre consommation de viande rouge et hypertension artérielle, dans une vaste cohorte de femmes françaises(12). L’étude EPIC-OXFORD a comparé les lipides plasmatiques de différentes populations britanniques : les végétaliens ont des valeurs un peu plus basses de cholestérol total et d’apo B que les consommateurs de viande, de poisson ou que les végétariens(13), ceci pouvant être lié à des différences de poids et/ou d’alimentation.
Une étude chez des femmes taiwanaises a montré que les végétaliennes avaient des triglycérides plus élevés et un cholestérol HDL plus bas que les végétariennes et les omnivores ; et que les végétariennes avaient un cholestérol HDL plus bas que les omnivores(14).
Viande et risque de cardiopathie ischémique
Les études ne sont pas toutes concordantes mais une métaanalyse datant de 2010 avait montré que la consommation de charcuterie était associée à un risque accru de maladie coronarienne mais pas celle de viande rouge, tandis que ni la consommation de viande rouge ni celle de charcuterie n’étaient associées à un risque accru d’accident vasculaire cérébral, mais ceci portait sur un faible nombre d’études(10). L’étude EPIC-OXFORD montre que le risque d’hospitalisation ou de décès par cardiopathie ischémique est plus important chez les non-végétariens que chez les végétariens(15).
Une étude suédoise récente confirme une augmentation de 29 % du risque de mortalité cardiovasculaire chez les gros consommateurs de viande rouge (5e quintile soit > 117 g/j)(16).
Les mécanismes impliqués
Le rôle de la viande elle-même dans le gain de poids ou le surpoids semble peu probable : il s’agirait plutôt du style alimentaire associé chez des gros mangeurs. Toutefois, une étude récente montre que l’augmentation de mortalité cardiovasculaire associée à une consommation élevée de viande persiste pour une consommation élevée de légumes et de fruits, bien qu’elle soit plus faible lorsque la consommation de légumes et de fruits est accrue(16). Pour autant, le rôle confondant d’autres facteurs alimentaires associés ne peut être exclu(17).
Les quantités de viande jouent bien sûr un rôle : ainsi une métaanalyse récente des études d’intervention montre qu’une demiportion de viande quotidienne n’est pas associée à une augmentation des paramètres lipidiques et de la pression artérielle(18).
La consommation de viande rouge est associée à une diminution de l’insulinosensibilité chez des patients insulino-résistants(19) et à une augmentation de la glycémie et de l’insulinémie(20), quels que soient les polymorphismes génétiques associés. Il existe une association entre la ferritinémie et plusieurs métabolites dérivés des lipides (phospholipides, acylcarnitines, sphingomyélines) et dérivés des acides aminés (glycine), et issus de la consommation de viande rouge, et le risque de diabète(21,22).
Le rôle du triméthylamine-Noxyde (TMAO) métabolite dérivé du métabolisme de la carnitine par le microbiote puis par le foie semble très probable dans l’augmentation du risque cardiovasculaire liée à la consommation de viande rouge(23,24).
Par contre, le rôle des acides gras saturés semble aujourd’hui exclu dans le risque cardiovasculaire, bien qu’ils augmentent le cholestérol LDL(25).
Alimentation végétarienne
Végétarisme et facteurs de risque cardiovasculaire
Les végétariens ont un profil lipidique différent de celui des non-végétariens avec des valeurs plus basses de cholestérol LDL et d’apo B que les omnivores(13,14,26). Le régime végétarien est associé à des valeurs plus basses de pression artérielle(15,27,28).
De même, une étude a montré des valeurs plus basses de CRP ultra-sensible(26) chez les végétariens. Le risque de surpoids et d’obésité est également plus bas chez les végétariens(15).
De même, l’insulinosensibilité est accrue chez les végétariens ; et les végétaliens ont une moindre insulinorésistance que les omnivores(29,30).
Les limites du régime végétarien
Le profil lipidique des végétariens comporte aussi des valeurs plus élevées de triglycérides et plus basses de cholestérol HDL du fait d’un apport accru en glucides(14). Le statut antioxydant des végétariens est identique à celui des omnivores, non-fumeurs(31).
Plusieurs études ont montré que l’homocystéinémie, un facteur de risque de thrombose, est plus élevé chez les végétariens que chez les non-végétariens(26,32), probablement en raison d’un déficit en vitamine B12 dont les concentrations plasmatiques sont plus basses(33).
Excepté chez les pesco-végétariens, le statut en EPA et DHA (les acides gras polyinsaturés oméga- 3 à longue chaîne), est moins bon(34,35) mais des données sont en faveur d’une biotransformation endogène accrue de l’acide alpha-linolénique en EPA-DHA chez les végétariens. Ce statut induit cependant une augmentation du thromboxane A2 à partir de l’acide arachidonique issu de l’acide linoléique (oméga-6)(36).
Régime végétarien et risque cardiovasculaire
Une analyse de 5 études prospectives avait montré en 1999 une diminution de 24 % de la mortalité par cardiopathie ischémique chez les végétariens comparativement aux non végétariens, mais pas de différence en ce qui concerne la mortalité cérébro- vasculaire(37).
L’étude EPIC-OXFORD n’avait pas observé de différence de mortalité cardiovasculaire entre végétariens et consommateurs de viande, mais les auteurs estimaient que la puissance de l’étude était insuffisante(38).
Une autre étude anglaise chez 11 000 végétariens avait mis en évidence le fait qu’une consommation élevée de fruits frais était associée, dans cette population a une réduction de la mortalité cardiovasculaire(39). Plus récemment, l’étude britannique EPIC-OXFORD sur un suivi de 11,6 ans mettait en évidence une diminution de 32 % du risque de cardiopathie ischémique chez les végétariens comparativement aux non-végétariens(15).
Conclusion et recommandations
Il est clair qu’une consommation élevée de viande rouge (> 500 g/semaine) est associée à un risque accru de morbidité et de mortalité coronarienne. Ceci ne semble pas se retrouver avec la consommation de volaille.
Ceci est probablement lié à l’effet direct de la viande sur l’insulinorésistance et le risque de diabète. Le rôle des modifications du profil lipidique ne semble pas essentiel. Il est probable que le microbiote joue un rôle par le biais de la transformation de la carnitine en métabolites tels que le TMAO, et que le rôle des acides gras saturés est mineur ou nul.
Mais le style alimentaire associé joue sans doute un rôle non négligeable chez les gros consommateurs de viande rouge, faibles consommateurs de produits végétaux.
Le régime végétarien apparaît lui comme favorable, associé à une réduction de plusieurs facteurs de risque (poids, insulinorésistance, pression artérielle), malgré quelques points a priori moins favorables tels que la baisse du cholestérol HDL, l’élévation des triglycérides, l’élévation de l’homocystéinémie, et le déficit en AGPI w3LC. Il apparaît cependant nettement favorable en prévention primaire ; mais il avait fait aussi ses preuves il y a fort longtemps en prévention secondaire, permettant une régression de la plaque d’athérome coronarienne(40).
Le bénéfice lié au régime végétarien ne serait pas seulement lié à une moindre consommation de viande, mais aussi à une consommation accrue de produits végétaux tels que légumes, fruits, légumes secs, soja, oléagineux (noix, amandes) et à une part plus importante des protéines végétales.
En définitive un bon régime pour la santé cardiovasculaire serait un régime d’inspiration végétarienne, alternant menus végétariens et non végétariens, abondant en aliments végétaux variés et comportant bien sûr également du poisson.
Références sur demande à la rédaction : biblio@axis-sante.com
Publié dans Cardiologie Pratique
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