Publié le 19 avr 2023Lecture 3 min
Chirurgie métabolique entre 30 et 35 kg/m2 : l’ombre d’un doute
Patrice DARMON, CHU La Conception, Marseille
Au-delà de son efficacité spectaculaire sur la réduction pondérale, la chirurgie bariatrique constitue un remarquable traitement du diabète de type 2 (DT2) puisqu’elle est associée à une rémission dans plus de 60 % des cas à 5 ans.
Comme le rappellent Patrick Ritz et Hélène Hanaire dans l’un des articles de ce numéro, même si le taux de récidive est important, « les mois et années de rémission sont du temps gagné pour les patients quant à leur exposition à la maladie et aux risques de complications ». Ainsi, l’évolution d’une vision « bariatrique » vers une vision « métabolique » de cette chirurgie a ouvert la voie à un nouveau paradigme dans le traitement du DT2. Jusqu’à présent, cette option thérapeutique ne pouvait être considérée qu’au-delà d’un IMC de 35 kg/m2 et n’était pas autorisée pour les patients présentant une obésité de grade I. Un rapport d’évaluation publié en octobre 2022 par la HAS conclut que « la chirurgie métabolique peut être proposée aux patients atteints de DT2 et qui présentent une obésité de grade I (…) lorsque les objectifs glycémiques individualisés ne sont pas atteints, malgré une prise en charge médicale (…) bien conduite (…) pendant au moins 12 mois », ouvrant ainsi la porte au remboursement de cette chirurgie pour les patients DT2 avec un IMC entre 30 et 35 kg/m2. Si on peut se réjouir de la mise à la disposition des cliniciens d’un outil supplémentaire qui a largement démontré son efficacité chez les patients DT2 avec un IMC > 35 kg/m2, on a aussi le droit de se poser un certain nombre de questions autour de la petite révolution qui s’annonce — pour la plupart d’ailleurs exposées dans le rapport de la HAS.
• Même s’il n’y a pas de raison de penser que les résultats diffèrent de ceux observés dans l’obésité de grade II ou III, il n’existe pas d’essai randomisé contrôlé dédié chez des patients DT2 avec une obésité de grade I et la supériorité démontrée de la chirurgie métabolique sur la rémission du DT2 versus prise en charge médicale dans cette population ne repose que sur des analyses en sous-groupes et de très faibles effectifs.
• Malgré les immenses progrès réalisés ces dernières années, la chirurgie de l’obésité n’est pas dénuée de risques postopératoires, pouvant aller (exceptionnellement) jusqu’au décès, et expose à un certain nombre de complications médicales ou psychologiques à moyen et long terme. À ce jour, il n’existe que très peu de données de sécurité dans la population de patients DT2 avec une obésité de grade I.
• La HAS précise que le patient « devra pouvoir bénéficier et s’astreindre à un suivi à vie après chirurgie métabolique » sans proposition concrète pour sécuriser le parcours de soins à l’heure où les derniers chiffres font état d’environ 50 % de perdus de vue à 5 ans après chirurgie bariatrique.
• En augmentant considérablement la population cible, la HAS s’expose aussi à des dérives et des excès : certes, la présence impérative d’un diabétologue lors de la RCP préopératoire est un garde-fou nécessaire, mais la notion d’objectif glycémique individualisé non atteint après 12 mois de prise en charge bien conduite peut ouvrir la voie à toutes les interprétations.
• Le timing de cette préconisation de la HAS interroge au moment où des traitements médicaux (certes seulement suspensifs) très efficaces sur le plan métabolique et pondéral vont arriver sur le marché, comme le sémaglutide à fortes doses ou le tirzépatide dont les résultats des études de phase III en font déjà une alternative crédible à la chirurgie. Alors, oui, la chirurgie métabolique chez les patients DT2 avec obésité de grade I est une nouvelle option thérapeutique très intéressante dans des cas précis, après évaluation rigoureuse du rapport bénéfice-risque individuel, mais les cliniciens doivent garder en tête qu’il ne s’agit pas là d’une stratégie anodine et encore moins d’une solution miracle.
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