Diabétologie
Publié le 28 nov 2022Lecture 11 min
L’obésité des personnes âgées nécessite une prise en charge prudente et mesurée
Bernard BAUDUCEAU, Lyse BORDIER, service d’endocrinologie, hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé
L’épidémie d’obésité qui intéresse l’ensemble du monde n’épargne pas, bien au contraire, les personnes âgées. Les conséquences majeures sur la santé publique nécessitent une prise en charge qui repose essentiellement sur les modifications du mode de vie portant sur l’activité physique et tout particulièrement sur la nutrition. Ces mesures nécessitent d’être adaptées aux personnes âgées en fonction de leur état de santé et de leurs implications sociales ou familiales. En effet, certains aspects de l’alimentation et de la diététique prennent une coloration particulière chez les personnes âgées en raison de la fréquence de la dénutrition, de la sarcopénie et des pathologies chroniques associées. Ce fait a pour conséquence que les modifications alimentaires jugées nécessaires doivent exclure les régimes restrictifs et que la promotion de l’activité physique doit être adaptée.
| La population âgée est en pleine expansion
L’OMS place la limite à 65 ans pour définir une personne âgée. Les gériatres pour leur part conservent ce chiffre pour les patients présentant des pathologies chroniques sévères. Chez les sujets qui ont bien vieilli et qui sont restés vigoureux, c’est après 75 ans que ces personnes sont considérées comme âgées. En 2016, en France, 9,1 % de la population était âgée de plus de 75 ans, ce qui représentait 6 millions de sujets. Ce chiffre montre l’importance de la question du vieillissement de la population française qui est la conséquence d’une majoration régulière de l’espérance de vie. Les dernières projections estiment qu’en 2050, le tiers de la population française aura plus de 60 ans. En raison de cette plus longue durée de vie, certaines affections qui étaient autrefois relativement rares du fait des décès prématurés liés à des maladies aujourd’hui curables, sont devenues très fréquentes. Il s’agit notamment des états démentiels, mais également de toutes les complications plus spécifiquement gériatriques comme la perte d’autonomie et la fragilité. Plus que la durée de la vie, les années gagnées en bonne santé et en pleine autonomie importent avant tout. La qualité de la nutrition y concourt de façon déterminante.
| Définition de l’obésité chez les personnes âgées
Comme chez les sujets plus jeunes, l’obésité se définit selon les mêmes critères reposant sur le niveau de l’IMC (indice de masse corporelle). Cependant, ce simple paramètre ne prend pas en compte la répartition entre la masse maigre et la masse grasse qui est souvent plus importante chez les seniors. L’importance de l’obésité abdominale peut être aisément appréciée par la mesure du tour de taille. La diminution de la masse maigre témoigne d’un phénomène de sarcopénie qui est particulièrement fréquent et favorise la perte d’autonomie ainsi que les chutes. Cette répartition entre masse grasse et masse maigre peut être facilement, bien que grossièrement appréciée, par l’utilisation d’un impédancemètre. Ainsi, l’obésité sarcopénique est une particularité des personnes âgées, mais sa définition précise fait l’objet de débats.
Le degré de dénutrition doit être également évalué grâce à des paramètres simples d’autant que la présence d’une obésité peut parfaitement coexister avec une dénutrition.
Ainsi, face à une obésité chez la personne âgée, les modifications du mode de vie qui seront mises en œuvre doivent être raisonnables afin de ne pas altérer le capital musculaire et risquer d’entraîner un état de dénutrition.
| Fréquence de l’obésité chez les personnes âgées
L’étude OBÉPI menée en 2012 concernait 25 714 sujets de plus de 18 ans dont 23 % étaient âgés de plus de 65 ans. Cette population âgée avait un poids moyen de 72,4 kg, voisin du reste de la population. Le pourcentage des sujets obèses chez ces personnes de plus de 65 ans, quel que soit leur sexe, était plus important et atteignait 18,7 %. La prévalence de l’obésité diminuait après 65 ans passant de 21,8 % entre 65 et 69 ans à 16 % chez les personnes de plus de 80 ans. Cette diminution qui est probablement en rapport avec la surmortalité des personnes obèses était plus importante chez les hommes que chez les femmes. Comme pour le reste de la population, une relation inverse était observée entre la prévalence de l’obésité et le revenu et le statut social des personnes. Enfin, les régions les plus touchées par l’obésité des seniors étaient l’Alsace et la Picardie.
Le tour de taille des sujets de plus de 65 ans, témoignant de l’importance de l’obésité viscérale, était en moyenne de 94,2 cm contre 90,5 cm pour l’ensemble de la population. Plus de 3 seniors sur 4 avaient un tour de taille dépassant le seuil défini par l’IDF (80 cm chez la femme et 94 cm chez l’homme) et près de la moitié se situait au-delà de celui du NCEP (88 cm chez la femme et 102 cm chez l’homme). Ces chiffres étaient en progression régulière depuis 1997, quel que soit le sexe, mais l’augmentation relative était plus importante chez les femmes.
Dans l’étude Gérodiab, portant sur une population française comprenant 987 patients diabétiques de type 2 encore autonomes, l’IMC moyen était de 29,7 ± 5,5 kg/m2 et 45 % de ces sujets étaient obèses. Ce résultat con firme l’importance du facteur pondéral au cours du diabète de type 2.
| La population des seniors est très hétérogène
Cette notion est primordiale, car elle conditionne le mode de prise en charge ainsi que les objectifs en matière de modification du mode de vie et notamment de nutrition.
En effet, la population des seniors n’est pas homogène et peut ainsi être grossièrement répartie en trois catégories :
• Les sujets âgés qui ont bien réussi leur vieillissement sont en bonne santé ou présentent une pathologie correctement traitée et bien contrôlée. Ces seniors sont autonomes, sans déficit cognitif, avec un bon état nutritionnel et évoluent dans un environnement familial favorable. En dé finitive, le mode alimentaire conseillé ne différera guère de celui des sujets plus jeunes.
• Les sujets âgés fragiles présentent plusieurs affections, des troubles nutritionnels ou un déficit cognitif. Cet état intermédiaire peut brutalement se détériorer, notamment à l’occasion d’un épisode aigu. L’état nutritionnel en est un élément clef, qu’il soit à l’origine ou la conséquence de cette aggravation.
• Les sujets âgés dépendants, parfois en fin de vie, sont fréquemment institutionnalisés. Ils présentent de multiples affections qui nécessitent de nombreux traitements, ce qui peut conduire à des accidents iatrogènes. Ces malades sont soumis aux risques de chutes, de dépression, de sarcopénie et de dénutrition qui sont fréquemment sous-estimés. Les objectifs thérapeutiques prioritaires viseront à améliorer l’état nutritionnel et le confort si bien que les régimes restrictifs doivent être formellement prohibés.
| Dépister la dénutrition même chez les sujets obèses
L’état nutritionnel peut être apprécié grâce au MNA (Mini Nutritionnal Assessment) qui se compose d’un score de dépistage qui peut être complété par une évaluation globale si cela est nécessaire.
La Haute Autorité de santé (HAS) fournit des critères précis pour le dépistage et l’évaluation du degré de dénutrition, incluant le MNA, la perte de poids, l’IMC et l’albuminémie (figure). Cependant, la présence d’œdèmes, quelle qu’en soit l’origine peut créer une confusion dans l’interprétation du poids et doit être prise en considération. Parmi les indicateurs biologiques disponibles, le dosage de l’albumine constitue le marqueur nutritionnel le plus ancien et le plus couramment utilisé. Lorsque l’albuminémie se situe en dessous de 35 g/l, un état de dénutrition protéino-énergétique doit être évoqué et pris en charge, car il s’accompagne d’une majoration de la morbi-mortalité. Comme sa demi-vie est longue, de l’ordre de 20 jours, la répétition à court terme du dosage de l’albuminémie est inutile. En revanche, la demi-vie plasmatique de la préalbumine ou transthyrétine qui est synthétisée dans le foie, n’est que de 2 jours. De ce fait, ce dosage fournit des indications pertinentes sur les variations rapides de l’état nutritionnel et permet un suivi des mesures diététiques mises en œuvre.
En raison du caractère très instable de la situation nutritionnelle des personnes âgées, les enjeux de la prise en charge en cas d’obésité seront de maintenir des apports adaptés afin d’éviter qu’une affection intercurrente n’entraîne malnutrition et sarcopénie.
| Besoins nutritionnels des personnes âgées
Contrairement à une idée répandue, les besoins énergétiques diminuent peu chez les sujets âgés à activité comparable alors que les apports alimentaires décroissent avec les années, notamment en raison d’une diminution de l’appétit. Aussi, les apports glucidiques et lipidiques nécessitent de rester à un niveau identique à celui des sujets plus jeunes. Ces besoins alimentaires se majorent nettement en cas d’activité physique ou d’agression métabolique, surtout s’il existe déjà une dénutrition sévère.
La lutte contre la malnutrition passe par une chasse aux interdits, aux idées reçues et à la monotonie alimentaire qui sont trop souvent ancrés dans l’imaginaire et les habitudes. En particulier, la lutte contre la sarcopénie doit associer un apport énergétique et protéique suffisant au maintien d’une activité physique régulière et adaptée.
Les apports nutritionnels conseillés sont estimés à 36 kcal/kg/jour et à 1 g/kg/jour de protéines, taux qui peut être majoré à 1,2 à 1,5 g/kg/jour en cas de dénutrition. La prévention de l’ostéoporose repose sur des apports énergétiques, protéiques, calciques et en vitamine D qui doivent être adaptés à l’état de la personne et associés à une activité physique significative. Pour répondre à ces objectifs, les conditions environnementales sont essentielles, car l’alimentation est un acte social, convivial et de plaisir (tableau).
| Conséquences de l’obésité des sujets âgés
Plus encore que chez les plus jeunes, les conséquences de l’obésité sur les seniors sont particulièrement importantes, mais elles sont naturellement fonction de sa sévérité.
Contrairement à la dénutrition et à la sarcopénie, la présence d’un simple surpoids chez les seniors ne semble pas entraîner de majoration des complications cardiovasculaires et des cancers. En revanche, en cas d’obésité, outre la majoration du diabète de type 2, de l’hypertension artérielle et des dyslipidémies, d’autres complications retentissent très défavorablement sur l’état de santé, l’autonomie et la qualité de vie des personnes âgées. C’est ainsi que le syndrome des apnées du sommeil, l’insuffisance cardiaque, certains cancers, les manifestations rhumatologiques, notamment les arthroses des grosses articulations des membres inférieurs, et l’incontinence urinaire chez les femmes est à redouter.
Chez les patients en institution, la présence d’une obésité rend difficiles les soins d’hygiène et favorise la survenue des escarres. En revanche, les conséquences de l’obésité sur la mortalité font l’objet de débats, car elles semblent moins délétères que la dénutrition. Lorsque l’indication est retenue, la perte de quelques kilogrammes est favorable sur l’équilibre glycémique, la pression artérielle, l’autonomie et les principales conséquences du surpoids. Les effets de la perte de poids sur la mortalité sont appréciés de façon variable selon les auteurs.
| Prise en charge de l’obésité chez les personnes âgées
Cette démarche suppose de prendre en compte les caractéristiques physiques et psychologiques de ces personnes. L’intérêt d’une perte de poids raisonnable doit être mis en balance avec les risques de dénutrition, de sarcopénie et de syndrome dépressif. Lorsqu’une indication de perte de poids est retenue, la prise en charge repose sur une modification de l’alimentation en proscrivant les régimes restrictifs en raison de la fragilité nutritionnelle de ces personnes et une majoration raisonnable de l’activité physique.
Modification de l’alimentation
La prévention de l’obésité doit intégrer le fait qu’une réduction énergétique débutée très tôt améliore l’espérance de vie dans toutes les espèces animales à condition qu’elle n’entraîne pas de carence. Le régime méditerranéen prôné dans la prévention des maladies cardiovasculaires est probablement celui qui est le plus susceptible d’accroître la longévité lorsqu’il est associé à une activité physique suffisante. Toutefois, la preuve de causalité reste à démontrer en raison de l’existence de nombreux facteurs de confusion.
Le maintien d’un état nutritionnel satisfaisant grâce aux proches avec l’aide d’une diététicienne est le gage de la réussite du vieillissement tandis que la notion « de plaisir de manger » doit être absolument préservée.
Chez les personnes en surpoids ou obèses, la ration calorique doit rester supérieure à 1 600 calories sans réduction des apports alimentaires excédant 500 à 750 kcal par jour. Un apport en protéines d’au moins 1 g/kg/jour doit être maintenu afin de ne pas induire une dénutrition.
Majoration de l’activité physique
L’obésité et le grand âge sont deux facteurs qui limitent beaucoup les possibilités d’activité physique. Cependant, cette activité physique permet de maintenir la force musculaire, d’entretenir les réflexes et l’équilibre. Enfin, elle préserve l’autonomie et améliore la qualité de vie en proposant une activité de plaisir et en luttant contre la dépression. L’idéal fixé par les recommandations, pour les patients qui le peuvent, est de pratiquer 2 heures 30 par semaine d’activité physique d’intensité modérée auquel doivent s’ajouter 2 à 3 séances hebdomadaires d’activité pour le renforcement musculaire. Chez les sujets âgés et obèses, ces objectifs sont le plus souvent hors d’atteinte si bien que les conseils doivent être raisonnables et bien adaptés à la personne. La marche régulière ou la natation doivent être encouragées ainsi qu’un entraînement en résistance lorsque cela est possible. La kinésithérapie permet enfin, chez les sujets fragiles, de maintenir la masse musculaire.
Médicaments
En dehors de l’orlistat, qui limite l’absorption des graisses, dont l’efficacité est modeste et qui favorise l’incontinence anale, aucun médicament validé n’est aujourd’hui disponible pour la prise en charge de l’obésité. Ce fait ne limite pas les promesses que l’on peut lire dans les magazines sur les effets miraculeux en termes de perte de poids de tel ou tel produit plus ou moins ésotérique.
Chirurgie bariatrique
La chirurgie bariatrique qui est pratiquée de plus en plus souvent chez les sujets obèses nécessite une prise en charge par une équipe multidisciplinaire. L’indication est retenue pour un IMC ≥ 40 kg/m2 ou bien pour un IMC ≥ 35 kg/m2 associé à au moins une comorbidité susceptible d’être améliorée après la chirurgie. Ce geste ne peut être réalisé qu’en seconde intention après échec d’un traitement bien conduit pendant 6 à 12 mois.
L’indication de la chirurgie bariatrique est controversée chez les personnes d’âge avancé en raison des risques opératoires et nutritionnels, d’autant qu’il est difficile de définir une limite d’âge. Audelà de 60 ans, l’indication de chirurgie bariatrique doit être évaluée au cas par cas et les indications opératoires doivent être considérées avec beaucoup de prudence.
Les auteurs ne déclarent aucun lien d’intérêt avec la teneur de cet article.
Publié dans Diabétologie Pratique
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