publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Nutrition

Publié le 06 déc 2021Lecture 11 min

Jeûne, régime détox et infox : la part des choses

Jean-Louis SCHLIENGER*, Louis MONNIER**, * Faculté de médecine, Université de Strasbourg ** Institut universitaire de recherche clinique, université de Montpellier

En ces temps d’abondance et d’innovation technologique alimentaires, de plus en plus d’individus prennent conscience des dangers liés aux excès et, plus encore, aux contaminants présents dans leur assiette. Pour échapper à ces menaces, certains réagissent en se lançant dans une chasse aux toxines ou décident de « décrasser » l’organisme en facilitant le drainage et l’élimination – le maître-mot – des toxines et polluants accumulés soit à l’issue de bombances et de libations, soit au fil de l’eau. Ils s’adonnent à de véritables cures purifiantes en procédant à des exclusions alimentaires pouvant aller jusqu’au jeûne ou en ingérant des produits mis au point par quelques boutiquiers du bien-être. Ces pratiques « détox » ont-elles une utilité physiologique ou ne s’agit-il que de rites mêlant ésotérisme, spiritualisme et nutrition sans intérêt métabolique, n’ayant d’autres effets que de rassurer ceux qui recherchent la rémission d’excès récents ou l’apaisement face à une alimentation perçue comme un danger permanent ? Quels fondements scientifiques et quelles conséquences pour la santé de ces pratiques — soutenues par quelques professionnels de santé — qui font l’actualité après les fêtes de fin d’année ou à l’approche de l’été puisque le désir de perte de poids est subliminal ?

La tentation du détox Les « régimes » de privation et de rupture sont populaires parce qu’ils promettent la « réparation » d’un organisme transitoirement malmené par un mode de vie dominé par la malbouffe et la sédentarité et, pourquoi pas, l’amélioration, voire la guérison, de maladies chroniques métaboliques, digestives, cutanées ou dégénératives. Ces régimes stigmatisent les « mauvais » aliments d’origine animale riches en nutriments énergétiques qui, comme chacun croit le savoir, génèrent des toxines, engorgent le foie et encrassent les artères. En revanche, les aliments d’origine végétale, moins énergétiques, sont les véhicules d’antioxydants et de diverses substances favorisant la « grande lessive » de l’organisme. Cette vision manichéenne des aliments trouve son apogée par l’absurde dans le jeûne qui dispense de se poser des questions à perte de vue sur les aliments. Plusieurs moyens sont proposés pour optimiser le fonctionnement d’un organisme malmené par les vicissitudes d’une alimentation contemporaine inadaptée. La cure « détox » Elle correspond à une séquence alimentaire d’une durée d’au moins 24 heures et pouvant se prolonger un mois, composée quasi exclusivement de fruits et de légumes sous les formes les plus diverses, crudités, cuidités, jus, bouillons ou infusions. Elle s’inscrit dans le cadre très critiquable des monodiètes auxquelles ont volontiers recours les sujets souhaitant perdre du poids rapidement. Les plus connues sont la soupe au chou, le « citron-détox » ou les « cures » exclusives de raisin (cures uvéales), de pomme ou de poireau. Cette approche n’a évidemment fait l’objet d’aucune étude contrôlée chez l’homme et correspond à une vision bien naïve de la nutrition et a un arrière-goût de supercherie. Dans tous les cas, il s’agit d’une restriction alimentaire sévère mettant à mal l’équilibre alimentaire. Les régimes « hypotoxiques » Ils n’ont pas davantage de support scientifique. Ils consistent à évincer les aliments contenant des nutriments présumés nocifs comme le gluten et le lactose ainsi que les aliments transformés ou contenant des additifs (aliments ultratransformés). Les aliments énergétiques ou riches en protéines sont prohibés, car ils sont considérés comme pourvoyeurs de toxines endogènes. Il existe dans le commerce une offre d’aliments estampillés « détox » ayant la prétention de renforcer les processus naturels de détoxification. Parmi d’autres, citons la kyrielle de tisanes, de jus et de compléments alimentaires n’ayant d’autre vertu que d’être vendus, pour certains, en pharmacie comme la spiruline, la catéchine de thé vert, l’acide alpha-lipoïque, les chélateurs de toxiques, etc. sachant qu’ils sont largement accessibles sur internet pour le meilleur et le pire. Les aliments et les compléments riches en antioxydants sont promus au prétexte qu’ils augmenteraient les performances des organes impliqués dans l’élimination des déchets métaboliques. La privation totale, mais temporaire de nourriture Elle est associée à une consommation abondante de liquides peu nutritifs, jus et tisanes, et a de plus en plus d’adeptes. Plusieurs formules de jeûne sont prônées dans le cadre d’une stratégie de détoxification ou même à visée thérapeutique. En effet, des travaux expérimentaux déjà anciens avaient montré qu’un régime réduisant de près de 40 % les apports énergétiques spontanés augmentait la longévité et réduisait le risque de maladies chroniques dans toutes les espèces animales étudiées. Ces effets bénéfiques s’expliqueraient par la réduction du stress oxydatif et par une stimulation de la résistance cellulaire aux méfaits de l’inflammation et aux dommages oxydatifs. La restriction calorique chronique étant difficile à appliquer au long cours, il a été proposé d’alterner un jeûne de 24 heures ou de quelques jours avec des séquences d’alimentation ad libitum. Le jeûne intermittent ou alterné est promu pour améliorer l’efficience globale de l’organisme en le préservant de l’agression métabolique imputable à une alimentation hyperénergétique, lutter contre le surpoids et prévenir l’ensemble des maladies dites de société. Ces données expérimentales n’ont pas été validées par des études chez l’homme, ce qui n’a pas empêché le « jeûne thérapeutique » d’entrer dans le champ de la médecine actuelle à la suite de travaux de l’équipe de Longo sur le vieillissement, la cognitivité, les métabolismes, l’inflammation et le traitement du cancer(1). Dispositifs de « détoxification » de l’organisme L’organisme, protégé par une solide barrière intestinale, sait faire face aux « toxines » sans aide. L’élimination naturelle des toxines, toxiques et xénobiotes de toutes espèces se fait non seulement par les émonctoires dédiés (pores cutanés, expiration, fécès, urines), mais aussi par des processus de biotransformation généraux ou spécifiques(2). Le foie est le site principal où se déroulent les réactions visant à désamorcer la toxicité des molécules ingérées. La première phase comporte des transformations chimiques élémentaires et emprunte la voie des cytochromes 450 (CYP) fortement impliquée dans de nombreuses réactions d’oxydation, de réduction, d’hydrolyse, de déshalogénation et de transformation des toxiques organiques insolubles en composés à double polarité. Un bon état nutritionnel et une alimentation équilibrée et diversifiée assurent un rendement optimal de la voie des CYP en apportant les cofacteurs enzymatiques indispensables et en participant à la modulation de l’expression des gènes par des effets d’ordre épigénétique. Certains métabolites intermédiaires issus de cette première phase ne sont eux-mêmes pas dénués de toxicité et peuvent être la cause de lésions intracellulaires en se liant aux acides nucléiques ou à d’autres structures. Il en est ainsi des espèces réactives de l’oxygène qu’une alimentation à fort potentiel antioxydant (caroténoïdes, acide ascorbique, tocophérol, manganèse, sélénium, flavonols, anthocyanes et autres polyphénols…) contribue à piéger et à éradiquer en renforçant les lignes de défense enzymatiques comme le superoxyde dismutase. La deuxième phase de détoxification se fait dans le sillage de la première, qu’elle parachève par un ensemble de réactions de conjugaison assurant la solubilité dans l’eau en ajoutant un groupement polaire (acide glucuronique, acides aminés, sulfoconjugaison, acétylation, etc.). Il en résulte des composés hydrosolubles, non toxiques et pharmacologiquement inactifs éliminés dans la bile, les fécès et les urines. Le microbiote intestinal participe à ce processus en produisant certaines enzymes comme la β-glucuronidase. Les aliments interviennent potentiellement par leurs constituants et microconstituants plus ou moins spécifiques et par un effet matrice qui traduit l’interaction entre ces molécules rassemblées au sein d’un même aliment. Figure 1. Phase 1 et phase 2 de la détoxication hépatique ; mise en jeu de divers facteurs nutritionnels (vitamines et oligoéléments). 1. Substances liposolubles non polaires. 2. Métabolites partiellement hydrosolubles. 3. Métabolites hydrosolubles. (D’après 2). RL : radicaux libres ; EROs : espèces réactives de l’oxygène Le concept de détoxication nutritionnelle Il postule que la nature des aliments ingérés est à même de stimuler les mécanismes biologiques existants. En réalité, les mesures utiles portent sur la réduction de la charge en substances oxydantes et en polluants, ce qui ne peut être obtenu qu’avec une alimentation à faible densité énergétique et à forte densité nutritionnelle. La réduction des polluants relève d’une vigilance portant sur l’origine des produits (label biologique) et sur les procédés de fabrication (limitation des aliments ultratransformés). Une alimentation frugale, diversifiée et régulière répond à ce cahier des charges qui est globalement superposable aux recommandations nutritionnelles en vigueur à l’instar du Plan national Nutrition-Santé (PNNS 2019). Le jeûne est une formule extrémiste répondant au seul objectif de réduire les apports énergétiques, au moins transitoirement, avec le défaut rédhibitoire d’interrompre les apports en nutriments précisément indispensables à la bonne marche des mécanismes enzymatiques de détoxication(3). Les pratiques « détox » sont-elles nocives ? Les « cures détox » fondées sur une alimentation presque exclusivement composée de fruits ou de légumes sont plus naïves que nocives et relèvent de la pensée magique. Il est des versions de ces « cures » beaucoup plus problématiques qui proposent des régimes très restrictifs focalisés sur quelques aliments consommés souvent en jus (chou, citron, ananas), assortis de compléments alimentaires hasardeux, mais toujours coûteux, qui associent aux objectifs de détoxication celui encore plus séduisant de perte de poids rapide. Les adeptes crédules subissent de plein fouet une agression métabolique délétère. De fait, il n’est pas de fruit ou de légume dont la consommation exclusive puisse être recommandée. De même, il n’est pas de nutriments à éradiquer – glucides ou lipides – sans risque d’altérer les capacités naturelles de détoxification. Le bien-être relatif ressenti par nombre de pratiquants n’est qu’illusion et autosuggestion. Adaptation métabolique au jeûne L’enjeu est d’utiliser au mieux les substrats énergétiques stockés pendant les périodes d’alimentation en maintenant le plus longtemps possible la glycémie dans la limite basse de la normale et de préserver le capital protéique grâce une adaptation métabolique induite par des modifications hormonales. Paradoxalement, cette adaptation ne se fait pas sans produire des composés pouvant être assimilés à des substances toxiques comme les lactates et les corps cétoniques dont l’accumulation est notoirement délétère. La phase de jeûne court est assimilable à un jeûne nocturne prolongé de par l’utilisation des réserves glycogéniques. La néoglucogenèse hépatique s’installe dans la foulée à la faveur d’une diminution de la sécrétion d’insuline. Les acides gras libres (AGL) issus de la lipolyse, les lactates (cycle de Cori), le glycérol des triglycérides et les acides aminés glucoformateurs, dont l’alanine est le chef de file, sont les substrats de la néoglucogenèse. Parallèlement, l’utilisation préférentielle des AGL par le muscle réalise une épargne glucosée. Ce double mécanisme adaptatif a pour objectif le maintien d’une production de glucose suffisante pour assurer le fonctionnement des organes strictement glucodépendants. La phase de jeûne semi-chronique est marquée par l’utilisation préférentielle des réserves adipeuses, la diminution de la dépense énergétique (diminution des cycles futiles et de la β-oxydation mitochondriale) et la mise à disposition d’un nouveau fuel métabolique grâce à la cétogenèse. Les corps cétoniques produits par la β-oxydation des AGL largués par les adipocytes et par les acides aminés cétoformateurs suite à l’effondrement du rapport insuline/glucagon permettent de préserver, en théorie du moins, le muscle. La phase de jeûne chronique est caractérisée par une diminution plus marquée des dépenses de repos, par l’accentuation de la cétogenèse et le renforcement de l’épargne glucosée. Les réserves adipeuses restent des pourvoyeurs énergétiques de choix, mais la masse maigre est également mise à contribution au fur et à mesure que s’épuisent les réserves adipeuses jusqu’à aboutir à un véritable phénomène d’autophagie mis au service de la finalité ultime qu’est la survie. Jeûne et santé Dans les modèles animaux, le jeûne intermittent (ou alimentation intermittente) améliore la sensibilité à l’insuline et prévient l’obésité induite par un régime hyperlipidique. Chez l’homme, la restriction calorique de type « frugale » à la manière du régime d’Okinawa est associée à un bénéfice cardio-métabolique(4). Un jeûne intermittent de 24 heures trois fois par semaine entraîne une rémission de l’insulinorésistance chez des sujets prédiabétiques ou DT2(5). Encore que ces bénéfices ne sont pas supérieurs à ceux d’un régime conventionnel après 1 an(6) ! Les effets métaboliques du jeûne intermittent semblent aller audelà de ceux attendus de la seule perte de poids en agissant sur la machinerie énergétique mitochondriale par des mécanismes spécifiques qui sont encore à l’étude, mais qui sont étrangers à une quelconque détoxification. En définitive, le jeûne alternatif ou intermittent n’est qu’une variante illustrant les bienfaits de la frugalité ou, plus simplement, d’une alimentation à faible densité énergétique et à forte densité nutritionnelle, diversifiée, sans excès, ce qui ne l’empêche pas d’être palatable. Les piliers d’une alimentation « hypotoxique » durable • Supprimer les aliments contaminés par exemple par des remnants chimiques provenant des process de la production, de la transformation et de l’emballage des denrées. • Limiter les contaminations par les hydrocarbures aromatiques polycycliques produits par les procédés culinaires (viandes grillées, barbecue, etc.). • Ne pas consommer d’eaux contaminées par des polluants chimiques et des métaux lourds. • Ne pas succomber à la tentation des monodiètes qui enfreignent la règle de la diversité alimentaire garante d’un apport suffisant de l’ensemble des nutriments et micronutriments indispensables à une détoxication endogène, à une expression génétique et une signalisation cellulaire optimales. • Limiter sans les interdire les aliments énergétiques apparemment futiles en respectant les repères fournis par les recommandations : sucres d’addition (boissons sucrées), graisses saturées (charcuterie, aliments ultratransformés), boissons alcoolisées. • Contrôler l’apport protéique en réduisant les portions des produits d’origine animale, ce qui revient à contrôler les apports énergétiques puisque les protéines sont souvent associées aux lipides. • S’alimenter en respectant les horaires, la structure des repas (diversité) et en veillant à limiter les portions d’usage (ne pas reprendre du même plat). • Consommer à chaque repas des fruits et légumes garants d’une alimentation à faible densité énergétique et d’un apport significatif en micronutriments et en fibres. Conclusion ◼ L’organisme est équipé pour éliminer les toxines sans l’aide de régimes restrictifs, de jeûnes transitoires, de produits ou de compléments onéreux qui sont autant de supercheries. ◼ De telles pratiques soutenues par des considérations plus fantaisistes que physiologiques profitent davantage à ceux qui les proposent qu’à ceux qui y adhèrent. De courte durée, elles sont inutiles, mais ne prêtent guère à conséquence ; prolongées, elles sont dangereuses, comme le rappellent quelques observations dont une récente décrivant la survenue d’un syndrome RESLES par lésions du corps calleux induit par un régime « détox » poursuivi 6 semaines dans un contexte de désir d’amaigrissement(7). ◼ La seule aide qui puisse être apportée à l’organisme au décours d’excès alimentaires est l’alimentation équilibrée diversifiée adaptée aux besoins de l’individu. n Il est du devoir des professionnels de santé de lutter contre ce type d’infox qui fait son lit dans la crédulité et l’ignorance au mépris des réalités physiologiques. Publié dans Diabétologie Pratique

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème